La Messe des artistes 2020 : désacraliser pour mieux se rapprocher du divin
C’est dans une église Saint-Pierre-d’Arène archi-bondée que l’édition 2020 de la Messe des artistes fut dite à Nice ce Mercredi des Cendres.
©2020 Janaka Samarakoon pour artWorks!
Tout le petit monde artistique de Nice s’était donné rendez-vous à la Messe des artistes 2020, cet évènement annuel devenu incontournable dans le calendrier cultu(r)el niçois que même, pour reprendre la punchline des organisateurs, les croyants ne ratent sous aucun prétexte. Sans oublier les cent vingt artistes venus de 17 pays et leurs oeuvres qui siégeaient en majesté dans la généreuse nef et sur les bas côtés de l’église néo-romane.
Étrange cérémonie donc que cette messe-là où le sacré tutoie le profane pour une commune élévation.
Étrange cérémonie donc que cette Messe où le sacré tutoie le profane pour une commune élévation. Où les extases charnelles montrent le chemin aux plus mystiques… Le tout dans une bonhomie fraternelle, universelle et oecuménique.
Ce serait en 1926, dans l’église de Saint-Germain l’Auxerrois de Paris qu’aurait pris racine cette célébration perpétuée à Nice, un des rares diocèses qui se prête encore au jeu. Le sulfureux — et pas toujours fréquentable — Adolphe Léon Willette (1857-1926), caricaturiste, communard et anarchiste, serait à l’origine de cette célébration qui est née d’une envie de « choquer les bourgeois ». Selon les voeux du pionnier, la Messe a pour fonction de « recevoir les cendres et prier pour ceux qui doivent mourir dans l’année ».
© Prends pitié de nous (2019), Nathalie Broyelle | photo © 2020 Janaka Samarakoon pour artWorks!
Dans une atmosphère solennelle en clair-obscur et propice au recueillement, la spiritualité dénudée de tout prosélytisme y prend son envol. C’est aussi une occasion où l’Eglise célèbre son attachement viscéral à l’art et où les artistes reviennent s’abreuver à leur source originelle…
Quoi qu’il en soit, la Messe des artistes, telle qu’elle est pratiquée à Nice, est une célébration du vivant avec ce qu’il a de plus ineffable : l’art. Le mysticisme religieux y catalyse celui de l’art et vice versa. Dans une atmosphère solennelle en clair-obscur et propice au recueillement, la spiritualité dénudée de tout prosélytisme y prend son envol. C’est aussi une occasion où l’Eglise célèbre son attachement viscéral à l’art et où les artistes, malgré toute la liberté séculaire dont ils jouissent aujourd’hui après des siècles d’affranchissement progressif, reviennent s’abreuver à leur source originelle —une source aussi intarissable qu’incontournable. Ce lien ombilical reste évident dans les thèmes abordés dans cette édition 2020 — « Paradis, enfer et purgatoire » — et dans sa matérialisation visuelle.
L’esprit baroque, l’art prosélytique par excellence, prédomine dans cette exposition en ceci qu’il laisse libre cours au débordement de pathos et célèbre l’émotion la plus immédiate. Ne s’agit-il pas de deux notions que se disputent la religion et l’art ? Cette double lecture, voire l’ambiguïté, était déjà présente dans les oeuvres religieuses d’alors, du moins à partir du cinquecento renaissant et encore plus dans le baroque romain. Il suffit de regarder un crucifix d’époque qui, libéré du morbide gothique, offre le corps dénudé du Christ non plus comme repoussoir et reflet de la culpabilité humaine, mais comme une célébration du vivant. Tout en mettant à nu la fragilité humaine de Jésus, cette iconographie exaltait sa présence charnelle —objet d’extase plus ou moins mystique (Cf. Extase de sainte Thérèse de Gian Lorenzo Bernini). A ce titre, on est ici proche de l’esprit d’un Caravage, qui, par le biais de la désacralisation, permet un raccourci vers le sacré. Il rapprocha de façon radicale l’iconographie religieuse de la vie de tous les jours. C’est dans ce sens que les Adam, les Eve et autres figures saintes de la Messe des artistes, avec un érotisme triomphant, nous servent d’escabeau pour nous rapprocher tant soit peu du sacré, de l’absolu — cette quête qui anime notre modernité artistique.
Photos © 2020 Serendipity Studio pour artworks!
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Interview réalisée avec Alain Jacquet, commissaire d’exposition, le 26 février 2020 à l’église Saint-Pierre-d’Arène de Nice.
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