par Janaka Samarakoon pour artWorks! | 16/03/2020

En s’appuyant sur l’héritage de deux figures tutélaires qui célébraient un homoérotisme d’une vérité troublante, Nathalie Broyelle exalte le corps féminin sous l’emprise d’une sexualité débridée. Le désir y dispute l’effroi et le sacré le profane. Elle dévoile en ce moment sa toute dernière production à l’Ecole d’art Orange Bleue, Nice dans une exposition intitulée « Chair aimée »… Le portrait signé artWorks!

Nathalie Broyelle, Dernier jour (2020), peinture originale de 46 X 68 cm sur affiche de 57 X 76,5 cm

Une chair martyrisée mais une chair libérée !

Voici un programme que Nathalie Broyelle, artiste niçoise née à Aix-en-Provence et exposée en ce moment chez Louis Dollé, à Nice, semble faire sien. Une chair féminine si longtemps suspectée, aussi désirée que crainte, toujours convoitée mais plus réprimée que célébrée durant des siècles d’histoire culturelle… « Si [le sexe féminin] est consacré et adoré dans l’histoire de l’Humanité, nous avertit l’artiste en préambule à son exposition, il est aussi exilé, maudit, conspué, mutilé et interdit ».

L’exposition « Chair aimée », qui s’inscrit aussi dans le cadre du festival Femme en scène, nous présente deux récentes séries de l’artiste. « Art au Bacon » et « Les damnées », sont deux entités plastiques d’une grande fécondité et d’une intelligente cohérence. Deux séries de tableaux placées sous les auspices de deux monstres sacrés de l’histoire de l’art, le Caravage (1571-1610) et Francis Bacon (1909-1992), deux trublions qui occupent les extrémités d’un arc iconographique borderline s’étendant sur 400 ans d’art…

Deux séries de tableaux placées sous les auspices de deux monstres sacrés de l’histoire de l’art, le Caravage (1571-1610) et Francis Bacon (1909-1992), deux trublions qui occupent les extrémités d’un arc iconographique borderline s’étendant sur 400 ans d’art…

Du maître italien qui a fait des garnements des bas fonds de saints personnages — et vise versa — Nathalie Broyelle retient un esprit désacralisant. Les personnages de son illustre aîné sont le fruit d’un savant mélange entre le sacré et le profane. L’on se souvient des auréoles presque invisibles,  des gestes d’une trivialité quotidienne, mais des visages d’une douceur transcendante qui s’impose comme un trait d’union entre l’humain et le divin.

De même, les figures féminines de Nathalie Broyelle ont ceci d’exceptionnel qu’elles sont à la fois ici et ailleurs. « Ici », par la lourdeur de leur chair tour à tour malmenée, déchiquetée, dépiautée, le tout pour la mieux célébrer par une matière qui demeure palpable… « Ailleurs », par la disposition des corps aux poses abandonnées et par l’expressivité des visages en extase : les yeux absents, les têtes renversées, les corps lascivement offert au regard du visiteur… Ici, une pose équivoque d’un corps dénudé conduit le regard vers une tête auréolée. Là, une figure contorsionnée dont la tête renversée, béate, nous montre une croix… Par ses détails d’une incongruité calculée, un changement de registre s’opère lequel transforme le dispositif charnel en une expérience mystique. Et l’on sait, depuis l’iconographie baroque, que l’extase mystique passe aussi par l’extase charnelle… La partie inférieure de ces toiles est comme représentative d’un registre terrestre, dévolue au caractère corporel des figures (les jambes, le sexe, le ventre) alors que la partie supérieure (tête, gestuel, expressions) tend vers un registre plus éthéré, immatériel qui communique — voire communie — avec l’Invisible. Une tension entre ces deux registres naît alors où le sacré et le profane livrent un combat qui a pour finalité la recherche du Sublime.

Du maître italien qui a fait des garnements des figures saintes — et vise versa — Nathalie Broyelle retient l’esprit désacralisant.

Nathalie Broyelle, Sous les jupons (2020), peinture acrylique 76 x 126 cm sur toile de 84 x 126 cm
Nathalie Broyelle, La vengeance de St Agathe(2020), peinture acrylique sur toile de 85 X126 cm

Sainte Agathe occupe une place prépondérante dans l’iconographie de Nathalie Broyelle. Femme sacrificielle par excellence, usurpée et littéralement dépossédée de ses attributs féminins, Sainte Agathe dont la divine beauté précipite la fin tragique, devient chez l’artiste non une victime mais une figure triomphante. Ses seins mutilés, elle les présente au regard du spectateur non en renoncement, mais, au contraire, d’un geste vindicatif ; c’est l’offrande qui semble célébrer un libre arbitre jusqu’au-boutiste…

Le sexe féminin est au centre géométrique de ces toiles. Non plus suggéré, caché ou idéalisé, il s’affiche insolemment dans sa vérité anatomique. Obscur objet de fantasme, intarissable source de désir, c’est un millefeuille de mystère qu’il convient d’éplucher… Est-ce le raccourci, tel un trou de ver astrophysique, qui accompagne le profane vers le sacré ?

Non plus suggéré, caché ou idéalisé, le sexe féminin s’affiche insolemment dans sa vérité anatomique. Obscur objet de fantasme, intarissable source de désir, c’est un millefeuille de mystère qu’il convient d’éplucher…

Si la série des « Damnées » demeure un exercice extraverti dans sa démonstration célébrant une chair féminine affranchie, avec en filigrane une solidarité affichée vis-à-vis des figures de l’histoire sacrée, canonisées malgré elles pour le meilleur et pour le pire, la série « Bacon » peut se lire comme une expression introvertie d’une artiste qui illustre les méandres d’une sexualité féminine si mal représentée dans l’art… Si la première a pour objectif de déconstruire la grande Histoire picturale, la deuxième semble chroniquer la petite histoire personnelle, psychique. Le procédé ici est atypique. Partant des reproductions des oeuvres de Francis Bacon, l’artiste s’approprie littéralement des tableaux de l’iconoclaste Anglais en retravaillant à même sa surface peinte. Refaites, effacées, détournées et violentées, ces compositions néo-baconiennes dont les héros masculins se muent en héroïnes plantureuses se transforment en objets visuels fascinants : à la fois familiers et étranges, appartenant à un système référentiel archiconnu mais, en fin de compte, procurant des sensations inédites.

Une fois broyée par l’intervention de l’artiste, que reste-t-il encore de Bacon ? Un thème chromatique plus ou moins apparenté à l’original, avec ce même sentiment de huit-clos qui coince les modèles dans leurs retranchements émotionnels, et surtout un même théorème existentiel.

Une fois broyée par l’intervention de l’artiste, que reste-t-il encore de Bacon ? Un thème chromatique plus ou moins apparenté à l’original, avec ce même sentiment de huit-clos qui coince les modèles dans leurs retranchements émotionnels, et surtout un même théorème existentiel. Ce qui grise ces relectures de Nathalie Broyelle n’est plus l’angoisse d’être, mais la profondeur d’une sexualité féminine insondable. 

Si Bacon se considérait comme étant condamné à peindre pour ne pas mourir (« le simple fait d’être né, dit-il, est une choses très féroce »), Nathalie Broyelle semble peindre pour mieux vivre. Pour explorer sans filtre ni chichis les méandres d’une sexualité version féminine affranchie. Sa recherche se révèle du coup salvatrice.

Nathalie Broyelle, Porc-no (2020), peinture originale de 46 X 68 cm sur affiche de 57 X 76,5 cm
Nathalie Broyelle, Le dernier jour (2020), peinture originale de 46 X 68 cm sur affiche de 57 X 76,5 cm

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