Beaurecueil. Un village niché sous l’ombre imposante de la montagne Sainte-Victoire qui porte avec grâce son joli nom…
Une nuit de tempête, un majestueux pin d’Alep centenaire subit une profonde déchirure : une branche maîtresse et son double tronc, brisés, immobiles. Cet instant de destruction donne lieu à une révélation : celle d’un mystère enfoui au cœur de l’arbre, le secret de son cœur, la source de sa force et de ses ramures. C’est l’un des sujets du film…
À travers les yeux d’un artiste qui se considère comme un « passant attentif », un marcheur lancé sur les trousses de beautés fugaces, le film se déploie tel un voyage méditatif. Guidé par la philosophie de Giuseppe Penone, maître de l’Arte Povera, Denis Gibelin travaille avec délicatesse et obstination. Refléchit à voix haute. La caméra se colle à ses basques tandis que le micro boit ses paroles, le souffle inclus.
Le plasticien observe d’abord l’objet de toute son attention, presque avec révérence, hésitant sur le geste à adopter, estimant que les éléments sont eux-mêmes capables d’accomplir ce qu’il projette de faire. Puis, il se résout à sculpter, porté par un sentiment d’urgence face à l’impermanence de sa propre existence. Armé d’outils primitifs et d’un geste délibérément élémentaire, il creuse alors l’intérieur de l’arbre, comme guidé par un instinct immémorial. Le cœur se dévoile peu à peu, révélant la naissance des branches, tel un fœtus, d’une forme pas tout à fait aboutie, mais portant déjà en lui le déterminisme de la branche, y compris, peut-être, sa chute fatale… Cette vie enfouie au sein de l’arbre, semblable à un réseau de veines — armature originelle dessinée d’une écriture sûre — fascine par sa présence.
Denis Gibelin, Bois dressés issus de la série Territoire partagé (2024) | © 2024 Janaka Samarakoon pour artworks!
Denis Gibelin creuse son tronc, le laisse se reposer en l’exposant aux éléments, arpente le pays aixois, visite la côte où il a d’autres projets (cf. le Trait de rive), puis revient sculpter à nouveau. Après de longues hésitations, et au fil des saisons déjà écoulées, l’artiste décide de dresser ces sculptures au sein même de son chantier. Une verticalité retrouvée pour l’arbre. Mais celle-ci en marque la fin définitive en tant qu’élément végétal. La verticalité que l’artiste associait jusque-là à la marche, au vivant, au spirituel aussi — inspiré par Gaston Bachelard et sa « dynamique de l’âme » — devient ici le signe ultime d’une transformation. Une muséification anthropogène scellant la fin définitive de l’élément naturel en tant que tel ?
Ces œuvres — si l’on peut les nommer ainsi — sont éphémères par nature, se fondent harmonieusement dans le paysage, partageant leur espace avec d’autres vivants, végétaux et animaux. Comme toute chose en ce bas monde, elles sont vouées à disparaître — effacées par le temps, les éléments et le souffle de la nature — ne laissant que l’empreinte de leur présence dans l’esprit de ceux qui les auront croisées un jour, dans cet atelier à ciel ouvert, invités par l’artiste et sa compagne, ou par hasard…
L’hésitation cède la place à la découverte, tandis que la relation intime de l’artiste avec le pin tombé reflète des thèmes universels d’impermanence, de résilience et des destins entrelacés de la nature et de l’humanité. Sur le majestueux décor de la Sainte-Victoire, Territoire Partagé invite les spectateurs à s’arrêter, observer, contempler la beauté fragile qui nous entoure et à méditer sur leur propre existence fugace.
Penone a déclaré que l’arbre était « l’exemple d’une sculpture parfaite ». Denis Gibelin en livre ici la preuve.
Voir aussi…
« Le trait de rive » – exposition de Denis Gibelin au centre culturel La Providence – Nice
« J’ai aperçu le trait de rive, celui qui côtoie l’air et l’eau. Il réalise l’invisible… »
La série « Territoire mesuré » de Denis Gibelin, empreintes géologiques par estampage
Denis Gibelin est marcheur. Il aime la nature. Par dessus tout, il aime les montagnes, ces miracles géologiques jaillis des entrailles de la Terre au temps du chaos primordial, et qui n’ont cessé, depuis, de façonner nos paysages et notre perception que l’on y pose.
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