Photographe-auteure, Moko Mad’moiselle, s’est produite au Palais Lascaris, Nice, le 13 mars 2020, où elle a présenté « Spleen Baroque », un monologue musical en compagnie de Muriel Aulne (Mezzo Soprano) et Emmanuelle Catlin (viole de gambe). artWorks! y était.
« La réalité m’ignore… Je n’existe pas ». Ainsi s’exprime la plainte d’une âme errante qui, en se dépossédant de son amour — mort ou séparation du bien aimé ? — se dépossède d’elle même. Sortie de son corps, car enfin libérée de l’implacable matérialité qui la clouait au sol après la tragédie, elle erre désormais dans un monde dépeuplé. Un être lui manque… Un monde vécu jadis, on le comprend, en compagnie de son amant disparu. Dorénavant, ce monde est devenu un espace mental où elle imprime, tant bien que mal, sa présence spectrale…
Voici le pitch du personnage créé par Moko Mad’Moiselle alias Stéphanie Chotia, dont elle chronique, tantôt par la prose, tantôt par la photographie, les errances dites “hypnagogiques”. C’est justement cette prose qui vient de nous être donnée à vivre hier soir au Palais Lascaris, dans le cadre du festival Femmes en scène 2020 dont, hélas — comme un malheureux signe prémonitoire — ce spectacle d’un pathétique assumé est venu sceller la clôture prématurée.
Une prose chaleureuse d’une belle inventivité formelle, exprimée avec une grande maîtrise des moyens vocaux qui ne trahissait pas le caractère novice de l’exercice entrepris par la jeune auteure. Une voix enveloppante, comme venant d’un ailleurs indéfinissable, une allocution sûre devenue la caisse de résonance d’une âme tourmentée. Celle-ci est d’un esprit très romantique d’ailleurs, entendu ici au sens esthétique du terme, en ceci qu’il exacerbe la subjectivité de l’être, aussi imparfaite soit-elle. D’où les “spleens” du titre…
Les pièces choisies — principalement signées de la main de Barbara Strozzi (1619-1677), mais aussi par Tobias Hume (1569 – 1645) et de Monsieur de Sainte-Colombe (1640-1700) — dans leur dépouillement formel, résonnent comme des cris de solitude lancés dans les ténèbres d’une nuit sans fin.
Et, c’est une musique Baroque qui répondait à cette prose romantique. Le son grave, et souvent déchirant, de la viole de gambe, épousait parfaitement hier soir celle, tout aussi grave de l’amante. Les instruments à cordes ont cette admirable faculté à incarner la voix humaine, voire s’y substituer. Ce n’est pas sans raison que Jordi Savall, à l’origine d’un renouveau certain de cet instrument “archaïque”, a titré son album sorti en 1998 “Les voix humaines”… Les pièces choisies — principalement signées de la main de Barbara Strozzi (1619-1677), mais aussi par Tobias Hume (1569 – 1645) et de Monsieur de Sainte-Colombe (1640-1700) — dans leur dépouillement formel, résonnent comme des cris de solitude lancés dans les ténèbres d’une nuit sans fin. Elles appuient l’isolement émotionnel qui se mue progressivement en rage (elle qui fait appel à « l’anarchie des sentiments »). Les pièces lyriques de Barbara Strozzi se substituent tour à tour à la prose. Cet exercice multidisciplinaire propose ainsi un parfait pendant sonore au travail photographique de l’auteure.
Dans sa présente série de photos, Moko Mad’Moiselle nous dévoile un minutieux travail où elle demeure à la fois l’artisan et la matière même d’une mise en scène/en abîme poignante. Devenu spectre, la sublime perdante des textes prend chair dans ces cadres. Placée sur le mauvais côté d’une équation amoureuse tragique, elle est captée dans des lieux aussi délabrés que la nature du sujet lui-même : des décors d’un faste révolu, d’un luxe ostentatoire en décrépitude, d’une gloire déchue. Ces vastes palazzos italiens d’un esprit viscontien servent d’écran à la photographe à projeter l’état mental de l’amante. Ce monde post-apocalyptique flétri, où la nature dispute la culture — une bataille que cette dernière semble avoir déjà perdue — est comme frappé par un sort jeté par notre ange déchu.
Dans ces clichés, tout en géométrie rigoureuse et aux cadres décrépis, comme prélevés de ces décors déliquescents, un minutieux travail sur la lumière se révèle. Tout en délicatesse, cette lumière latérale fait danser la poussière, sculpte les objets inanimés en leur insufflant de la vie pour enfin envelopper avec bienveillance le corps de la protagoniste. Est-ce la présence de l’amant disparu ?
Dans ces clichés, tout en géométrie rigoureuse et aux cadres décrépis, comme prélevés de ces décors déliquescents, un minutieux travail sur la lumière se révèle. Tout en délicatesse, cette lumière latérale fait danser la poussière, sculpte les objets inanimés en leur insufflant de la vie pour enfin envelopper avec bienveillance le corps de la protagoniste. Est-ce la présence de l’amant disparu ? Cette recherche plastique très appuyée, avec sa mise en scène cinématographique en ceci qu’elle vient enrichir le sujet « cadré » d’autres récits hors-cadre, fait de l’amante une créature fictive, imaginaire. Elle se hisse au passage au rang d’une figure opératique et jusqu’au-boutiste, prête à détruire, avec elle, un monde qui ne saurait voir triompher son amour.
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