Artiste plasticien né à Thies, Sénégal, Baye Gaye vit et travaille aujourd’hui sur la Côte d’azur. Profondément marqué par son héritage africain et la culture du tissage propre à sa ville natale célèbre pour sa manufacture de tapisserie, Baye Gaye propose un art protéiforme et éminemment personnel — carrefour des civilisations, non exempt d’un esprit militant.

par Janaka Samarakoon pour artworks! | 02/03/2020
Dignité (2018), Technique mixte – collage de laine, de tissue et de sable sur toile (50 x 50 cm) © 2020 Serendipity Studio pour Baye Gaye

L’art de Baye Gaye prend son envol lorsqu’il fait émerger son héritage culturel africain par les moyens qu’offre l’art du XXIè siècle, dans ce qu’il a de plus cosmopolite. Les peines et les joies intrinsèquement liées à l’Histoire de son continent en constitue le ressort sensoriel. Son appel n’en est alors plus qu’universel.

En utilisant du bois, de l’argile, du sable et des matériaux recyclés et en se servant du collage et de la couture aux côtés des techniques picturales plus classiques, Baye Gaye s’acharne non à inventer un monde, mais à relever l’essence du nôtre.

Tel un passeur entre un monde des invisibles et du visible, entre une mémoire immémoriale et notre perception contemporaine, le plasticien sénégalais ré-assemble les éléments organiques disparates — ces trouvailles qui font le bonheur de l’auteur aux cours de ses « pèlerinages » — comme pour leur redonner, sur la surface peinte, leur essence originelle rompue… comme pour en révéler le sens intemporel oublié.

En utilisant du bois, de l’argile, du sable et des matériaux recyclés et en se servant du collage et de la couture aux côtés des techniques picturales plus classiques, Baye Gaye s’acharne non à inventer un monde, mais à relever l’essence du nôtre. 

Mam (2019), Technique mixte – collage de laine, de tissue et de sable sur toile (60 x 50 cm)  © 2020 Serendipity Studio pour Baye Gaye
68M (2019), Technique mixte – collage de laine, de tissue et de sable sur toile (60 x 50 cm)  © 2020 Serendipity Studio pour Baye Gaye

Une biographie

Début

Baye Gaye est né en 1975 à Thies, Sénégal, un important centre artistique et artisanal situé à 70 km de la capitale où se trouve notamment la Manufacture sénégalaise des arts décoratifs. Dés sa plus tendre enfance, il a profondément aimé le dessin. « Je dessinais sur le sable, dans les murs des maisons du quartier, sur les tables bancs en classe, je faisais mes jouets et celui de mes camarades de jeu en argile et en fer ». Voilà une manière pour le jeune dessinateur de canaliser, par le biais du trait, le trop plein d’énergie d’une enfance heureuse…

Formation

Après avoir validé son diplôme d’études secondaires au Lycée Hamadou Coly Diop de Thies, Baye continue entre 1994 et 1997 l’apprentissage pratique en arts visuels. A l’issue de cette formation initiale, il participe, en 1998, à une exposition collective avec le Groupe Jankeen Art dont il fait partie des membres fondateurs. L’événement s’est tenu au sein de la Manufacture.

De ses années de formation initiale, il ne gardera cependant qu’une certaine déception. L’académisme ambiant des établissements qu’il lui a été donné de fréquenter et dont le système d’apprentissage était calqué sur les modèles occidentaux, ne correspond finalement pas à la quête du jeune artiste.

Recherche

Il décide donc d’interrompre ses années de formation et d’entreprendre un long périple à travers le Sénégal. Au cours de cette expérience, véritable voyage initiatique au coeur de l’âme sénégalaise, il va découvrir, au contact des communautés, non seulement des pratiques artisanales ancestrales, mais aussi et surtout le génie africain dans ce qu’il a de plus authentique. L’importante production d’objets d’arts populaires — tapisserie, poterie, masque, tissage… lesquels sont tour à tour décoratifs, usuels ou mystiques mais toujours riches de sous-textes — le fascine. Au contact de ces objets, pratiques et croyances, ce sera l’occasion pour Baye de se constituer un musée imaginaire bien à lui : un réservoir inépuisable d’idées, de formes et de couleurs.

Au cours de cette expérience, véritable voyage initiatique au coeur de l’âme sénégalaise, il va découvrir, au contact des communautés, non seulement des pratiques artisanales ancestrales, mais aussi et surtout le génie africain

Langage pictural

Au cours de cette phase autodidacte, il acquiert une grande maîtrise des techniques de l’artisanat. Cette expérience va poser les bases de la future pratique du jeune plasticien.

En devenant indépendant ainsi de tout établissement ou de clans et en s’engageant dans une voie personnelle, Baye a déjà fait un bout du chemin qu’il s’était fixé. Libéré alors des carcans de l’héritage post-colonial et des chimères de l’art contemporain mondialisé, il puisera désormais dans ce musée immatériel qu’est l’inconscient africain, transmis sans discontinuité depuis l’aube de l’humanité, la technicité de son art.

Son vocabulaire plastique personnel se forge peu à peu, riche d’une grammaire qui lui est propre. Venant du monde des arts populaires et se servant des mêmes matières brutes, son langage pictural s’émancipe toutefois de l’esprit artisanal lorsqu’il va frontalement aborder les confins de l’art, du Beau donc, avec des sujets contemporains.

L’influence de quelques figures tutélaires va être déterminante durant ces premières années formatrices de l’autodidacte, notamment celle de l’artiste sénégalaise Seni Awa dont le vocabulaire éminemment personnel et résolument africain servira à Baye de guide spirituel dans son propre cheminement. Il en est de même de l’influence du grand Ousmane Sow qui a inspiré plus d’un artiste de la génération de Baye.

Venant du monde des arts populaires et se servant des mêmes matières brutes, son langage pictural s’émancipe toutefois de l’esprit artisanal lorsqu’il va frontalement aborder les confins de l’art, du Beau donc, avec des sujets contemporains.

Descendant d’une lignée métissée de Peuls et de Sérères, Baye sera fortement imprégné des traits culturels de ces deux peuples autochtones : une impérieuse envie de partir vers de nouveaux horizons héritée de l’un, et un penchant pour le monde des invisibles de l’autre. Voici deux autres pierres angulaires de sa pensée et de sa pratique.

Premières percées

A compter de 2002, Baye va réaliser une série de compositions qui se caractérisent par une démarche picturale inspirée des techniques de l’architecture de terre et de la peinture rupestre. Le couronnement de cette première production est représenté par les deux prix qu’il reçoit au Salon international des jeunes plasticiens du Sénégal en 2002 et en 2004. En 2002, il est également sélectionné pour participer à la rencontre internationale Z’Art qui lui ouvre, pour la première fois, les portes de l’Europe. Grâce à la visibilité dont il bénéficie, il est appelé à exposer à Rimini, Italie où se tiendra sa première exposition individuelle. Un autre événement marquant de ces années de jeunesse est sa présence, en 2006, au Salon national des artistes plasticiens du Sénégal à la Galerie nationale de Dakar.

Europe

Après avoir fait le tour du milieu artistique sénégalais, l’appel de l’ailleurs le conduit en Europe en 2008. Le premier point de chute sera Paris dont la Bohème artistique le séduit un temps. L’apport le plus important est sans doute sa rencontre avec les maîtres de l’art occidental, toutes époques confondues. En papillonnant de musées en galeries, d’ateliers en rencontres, il acquiert, en autodidacte chevronné qu’il a toujours été, une solide culture visuelle, issue, cette fois, de l’histoire de l’art occidentale.

L’Autre, partie intégrante de sa propre identité, représente une quête décisive dans la construction de sa singularité. Originaire de la terre rouge de l’Afrique, c’est dans les villes policées d’Europe que Baye rencontra son Autre…

De Paris, infatigable, Baye parcourt l’Europe et y rencontre une altérité bienvenue, une autre recherche qui est enfouie en lui. L’Autre, partie intégrante de sa propre identité, représente une quête décisive dans la construction de sa singularité. Originaire de la terre rouge de l’Afrique, c’est dans les villes policées d’Europe que Baye rencontra son Autre…

Lors d’un de ces voyages qui l’amène du Nord au Sud de l’Italie, la Sicile qu’il découvre par hasard lui donne l’envie de se ressourcer auprès de la Méditerranée. En Sicile, où sont nés les mythes fondateurs de l’Europe, il trouve, au plus près des éléments de la nature, un balcon sur l’Afrique.

Parmi les nouveautés plastiques qu’il découvre dans l’île, la céramique, cet art millénaire présente dans toutes les civilisations, lui tient spécialement à coeur. Il se forme ainsi auprès d’un maître potier pour pleinement assimiler cette technique.

Démarche actuelle

Aujourd’hui installé sur la Côte d’Azur, aux portes de Nice, Baye, mi-philosophe, mi-artisan, poursuit sa voie en cultivant un rapport quasi-organique au monde. Ses toiles, peuplées de composantes les plus simples comme le sable, l’argile, le coton, les métaux aux côtés de toutes sortes de récupérations, constituent le miroir de ce rapport. Sans faire usage de couleurs chimiques, le peintre confectionne lui-même la plupart de ses pigments. C’est souvent tous ces matériaux collectés qui lui servent à la fois de pigments et de motifs, de dessin et de couleurs. Ce faisant, il s’efforce aujourd’hui non d’inventer un monde, mais de trouver un sens au nôtre.

Pour ce croyant pratiquant existent des formes multiples du Divin régissant, entre autre, l’ordonnancement du monde. Il s’agit d’une approche qui inscrit sa foi dans un humanisme panthéiste. Là, les éléments se départagent, en harmonie avec l’Homme, les faveurs de l’univers…

Avec cette économie de moyens émouvante qui caractérise ses oeuvres récentes, le plasticien aborde de plus en plus sa pratique comme une voie privilégiée vers le surnaturel. Pour ce croyant pratiquant existent des formes multiples du Divin régissant, entre autre, l’ordonnancement du monde. Il s’agit d’une approche qui inscrit sa foi dans un humanisme panthéiste. Là, les éléments se départagent, en harmonie avec l’Homme, les faveurs de l’univers…

Le vocabulaire plastique qu’il déploie aujourd’hui fait la part belle aux mystères de l’univers, ceux d’un monde invisible qui demeure une évidence pour ce fils des Sérères, un peuple qui refuse obstinément de couper les ponts avec ses morts. Comme pour ses ancêtres qui trouvaient dans des éléments organiques tels le bois, le fer, le lait ou le sang, autant de médiums pour renouer avec le monde des esprits, Baye ré-assemble les matériaux bruts qu’il prélève à la nature selon un agencement mystérieux comme pour en reconstituer l’état originel, comme pour en restituer le sens intemporel rompu. Les ballades au cours desquelles il prélève ces restes sont autant de pèlerinages qu’il entreprend pour se retrouver seul avec les éléments ; à la fois pour s’y ressourcer et pour leur rendre hommage. Son atelier est de ce fait une chapelle où sont sanctuarisés les prélèvements organiques qu’il ramène de ses voyages et qu’il répertorie scrupuleusement, avant de leur trouver un support adéquat.

Comme pour ses ancêtres qui trouvaient dans des éléments organiques tels le bois, le fer, le lait ou le sang, autant de médiums pour renouer avec le monde des esprits, Baye ré-assemble les matériaux bruts qu’il prélève à la nature selon un agencement mystérieux comme pour en reconstituer l’état originel, comme pour en restituer le sens intemporel rompu.

La surface peinte, cette carte mystérieuse d’une géographie mentale, devient ainsi un intermédiaire entre deux univers, le monde palpable et une vérité intangible — le Sublime en d’autres termes qui, depuis la nuit des temps, hante les artistes d’ici et d’ailleurs. Sa pratique qui exalte les éléments en les fixant pour l’éternité est une invocation à la nuit… Non à une “nuit obscure de l’âme”, mais à une nuit des plus fécondes où, profitant du matériel et de l’immatériel tous deux devenus poreux, l’Artiste se retrouve nez-à-nez avec une Vérité, celle qu’il élude depuis les temps immémoriaux.

© Janaka Samarakoon

Voir aussi : http://www.bayegaye.com/

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