D’origine russe et niçoise d’âme, Svetà Marlier pratique un art rehaussé d’infinies variétés de gris. Alliant à une technique personnelle un dessin implacable, elle livre sa vision d’une humanité altière, non sans noirceur, mais toujours tournée vers un horizon radieux.
La Vie (2020), Pierre noire et acrylique, 220 x 150 cm © Svetà Marlier
On sait depuis Malévitch (1879-1935) et son “degré 0 de la peinture”, atteint dès l’aube du siècle précédent, la figuration demeure un exercice périlleux. A partir de cet assaut inattendu venant d’un peintre dont la figuration des débuts s’est muée en une abstraction radicale, les artistes ont répondu de façons multiples pour déterrer l’art figuratif de cette condamnation prématurée. Alors, plus de cent ans après Le carré blanc sur fond blanc, comment les artistes figuratifs restent-ils encore « dans la course » ?
Une des réponses possibles réside dans le travail de Svetà Marlier, d’origine russe elle aussi et résidant et travaillant à Nice… C’est, par exemple, en maîtrisant parfaitement le dessin, et en le dépouillant à l’extrême à son essence plastique — la ligne. Aussi, en mélangeant savamment à la représentation (sujet) la singularité d’une présentation (manière). Ou encore, en relevant le sujet d’une bonne dose de mystère qui transforme l’expérience sensorielle en un « trip » métaphysique…
L’art de Svetà Marlier semble prendre son enracinement non dans la radicalité de l’avant-gardisme tardif, mais aux sources de la modernité russe, à la deuxième moitié du XIXè siècle où un groupe de peintres qui incarnaient avec l’engagement et l’ascèse un R(r)éalisme à la Courbet (1819-1877).
L’art de Svetà Marlier semble prendre son enracinement non dans la radicalité de l’avant-gardisme tardif, mais aux sources de la modernité russe, c’est-à-dire à la deuxième moitié du XIXè siècle où un groupe de peintres qui incarnaient avec l’engagement et l’ascèse un R(r)éalisme à la Courbet (1819-1877). Avec ce groupe d’artistes que l’on a coutume de nommer “Les ambulants”, un terme tiré de leurs expositions ambulantes avec lesquelles ils sillonnaient la Sibérie, le petit peuple russe trouva pour la première fois sa place dans la grande peinture de l’histoire. Quelques décennies avant la révolution qui avait pour programme le couronnement du prolétariat, leurs toiles célébraient la paysannerie, les arts populaires et les us et coutumes d’un pays grand comme un continent.
Ilia Répine (1844-1930), Les Bateliers de la Volga (1870-1873)
En incarnant consciemment ou pas cette tradition, Svetà Marlier donne dans une peinture figurative aux allures convenues, sans toutefois tomber dans le piège d’un Académisme malaisant. Tel un Courbet qui faisait défiler tout Paris dans son Atelier du peintre (1855), Svetà Marlier ouvre les portes de son atelier au petit monde artistique niçois qui vient poser pour elle et s’en donne à coeur joie. C’est eux qui, avec un enthousiasme non dissimulé, peuplent ses compositions dont le programme artistique est de chroniquer non le quotidien en particulier, mais la Vie en général. C’est le titre de sa présente exposition visible dans son atelier jusqu’au 14 mars 2020.
Dans ses frises en grand format et aux compositions complexes où l’artiste regroupe une cohorte de personnages plus ou moins reconnaissables, des détails (symboles ?) incongrus viennent chambouler la familiarité immédiate… Une pomme par-ci, des animaux d’une innocence originelle par là, lesquels procurent à ses compositions une ingénuité antédiluvienne, l’éclat d’une humanité encore immaculée de tout soupçon de péché… S’agit-il des dernières heures avant la Chute ?
Une pomme par-ci, des animaux d’une innocence originelle par là, lesquels procurent à ses toiles une ingénuité antédiluvienne, l’éclat d’une humanité encore immaculée de tout soupçon de péché…
La technique particulière qu’elle emploie, de la pierre noire d’un mat palpable rehaussée d’acrylique, ces touches de pinceaux qui donnent une infinie variété de nuances de gris et font danser la lumière, a pour mérite de sortir davantage ses personnages de l’anecdote par stylisation. Tout en gommant la ressemblance outrecuidante et en évitant un photoréalisme purement technique, ce procédé, via une certaine une abstraction formelle, procure aux compositions un mystère certain. A la fois familières et idéalisées, ses compositions déjouent les codes de la Grande peinture (format imposant, modèles vivants et identifiables…) pour mieux les détourner. Ce faisant, elles acquièrent le statut d’allégories.
Là réside une force admirable de Svetà Marlier, cette faculté à représenter — via ce décalage subtil qu’elle distille dans son art — un monde qui nous est familier, le nôtre, dans un jeu de miroir à peine — mais suffisamment — déformant pour nous subjuguer. De la sorte, ses contemporains, comme dans l’Atelier de Courbet, sortent de leur attraits de tous les jours pour acquérir une humanité universelle, profonde et transcendante.
Ces figures éthérées, comme autant de spectres sortis de nos propres corps, semblent nous indiquer la direction d’un « outremonde » où se dessine un horizon plus radieux que le nôtre…
Exode (2017), Pierre noire et acrylique, 220 x 150 cm © Svetà Marlier
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