par Janaka Samarakoon pour artWorks! | 02/08/2022

NOT FOR SALE

Galerie municipale Lou Babazouk – Nice
Galerie Diapo – Nice

Du 23 août au 11 septembre

Voici un évènement artistique, sous forme de double-exposition, permettant de mesurer, un tant soi peu, l’étendue du big bang déclenché par le numérique qui est en train de chambouler, à coup d’innovations technologiques, le monde en général et le monde de l’art en particulier.

La démarche artistique de Matt Guetta, auteur de ce dispositif plus conceptuel que plastique, est d’une rare incision. Le jeune praticien évolue sur une ligne de crête périlleuse entre le beau et le foutage de gueule, entre la notion de l’esthétique et l’art de la tourner en dérision. C’est un état des lieux objectif du monde actuel — hyper connecté et qui, de plus, est (sur)peuplé d’amis-machines à l’intelligence redoutable — et sa mise en récit artistique. Sa proposition est tracée de lignes floues, délimitée par des frontières poreuses. Le propos est d’une ambiguïté vertigineuse. Tout peut basculer, facilement, irrévocablement, d’un côté comme de l’autre, mais la force de l’artiste niçois de 39 ans est de réussir cet exercice d’équilibriste. Enfant gâté de la technologie ou père fouettard vindicatif ? Sans doute les deux. A vous de juger.

Que ce soit un algorithme qui déclare son amour à son usager (œuvre sonore), un produit dérivé d’une œuvre originale nébuleuse qui ne peut être « vendu » séparément de celui qui le portera (du prêt-à-porter) ou un portrait de son double numérique plus véridique que l’original mais (car ?) uniquement composé des 1 et des 0 (huile sur toile), l’art de Matt Guetta, ce « néo » plasticien, issu de la 3D et du virtuel, pousse, jusqu’au malaise, la question de ce que c’est, aujourd’hui, d’être un Homme, sans cesse pisté par son navigateur, manipulé par les « cookies » et profilé par la Big Data. C’est l’histoire éclairante d’une humanité prétendument affranchie qui a donné son consentement pour un flicage permanent — la vente du temps de cerveau disponible. L’Homme 2.0 ne serait qu’une simple pulsion consommatrice, prête-à-être-satisfaite ? Un Pygmalion incarné en un signal électrique qu’il a engendré… Voilà le constat implacable du plasticien que l’on imagine bien, comme la plupart d’entre nous, artisan et esclave de ce processus.

C’est aussi habile que le pop art de papa que l’artiste dépoussière. L’on a du mal à dissocier l’œuvre qui demeure un pur sous-produit du statu quo qu’elle critique. Et c’est plus dérangeant que la « mierda » de Manzoni en ceci que l’objet d’art vendu est en quelque sorte la déjection numérique non plus de l’artiste mais de son acquéreur.

Les objets d’art qui sortent de l’usine à penser de Matt Guetta sont à la mesure de l’ambivalence de nos pratiques consommatrices : hyper customisés mais « dématériels » ; uniques, certes, mais produits à la (block)chaîne. De simples sous-produits ou accessoires dont, pourtant, son consommateur ne peut se soustraire. C’est aussi habile que le pop art de papa que l’artiste dépoussière : l’on a du mal à dissocier l’œuvre qui demeure un pur sous-produit du statu quo qu’elle critique. Et c’est plus dérangeant que la « mierda » de Manzoni en ceci que l’objet d’art vendu est en quelque sorte la déjection numérique non plus de l’artiste mais de son acquéreur. C’est un art conceptuel 2.0 que son époque mérite : œuvre conçue comme un produit de consommation de haute volée, spéculative et déjà rendu incontournable ; son processus de fabrication a anticipé son indispensable utilité à venir.

Il s’agit d’un art qui vous veut du bien (!). C’est « beau comme un GIF », mordant comme un clic ; il irrite autant qu’il excite ; aussi hilare qu’angoissant comme peut l’être un mème. Achetez-en (« origine blockchain garanti », nous rassure l’artiste), cher consommateur, et, par là même, « rendez-vous inutiles ». Ce faisant, parachevez, malgré vous, le concept. C’est magistral !

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