par Janaka Samarakoon pour artWorks! | 03/04/2021
Asylum  (2020) acrylique sur toile, 130x80cm © Franck Saïssi

En exploitant les codes du cinéma de genre, Franck Saïssi crée dans Asylum une atmosphère vénéneuse et un suspens visuel interminable. Anxiogène et paranoïaque.

« Asylum ». L’asile en français. Un fauteuil roulant déserté végète devant un bâtiment austère aux allures de prison. C’est l’établissement de santé mentale du titre. Sommes-nous dedans ou dehors ? On l’ignore encore. Comme dans une figure humaine de Francis Bacon, l’élément architectural est éviscéré en son sein. L’extérieur se mue devant nous en intérieur. Ou vice versa ? Un ciel bas d’un gris pesant. Des murs en état de délabrement. Un escalier pointé vers le centre du tableau comme une invitation racoleuse à entrer de plain pied dans ce territoire incertain.

Ambiguë en diable, étrange au sens surréaliste du terme, anxiogène comme un polar fantastique, la toile est emblématique de la série de peintures que Franck Saïssi a entreprise depuis une paire d’années. Jusque-là, l’artiste noircissait d’encre de chine des feuilles de récupération — feuilles détachées de livres, partitions de musique, cartes maritimes anciennes.… et ce, un peu par souci pécuniaire — il n’avait pas de quoi se payer des papiers à dessins — beaucoup pour l’effet plastique obtenu — la superposition de son dessin sur du papier déjà imprimé lui donnant l’occasion de densifier encore plus son écriture déjà très chargée et de lui conférer de nouvelles pistes de lecture.

Depuis qu’il a son atelier, nous confie l’artiste, il dispose enfin de l’espace nécessaire pour déployer une toile et s’y attarder convenablement, la laisser inachevée sur un chevalet et y revenir plus tard sans devoir tout replier après chaque séance. Cette habitude qu’il a d’envisager l’art comme une empreinte directe de l’inconscient où, comme dans nos projections mentales, différentes images et sensations se juxtaposent, trouve ainsi un écho spectaculaire dans ce nouveau format.

Revenons donc à Asylum. L’occupant a déserté son fauteuil roulant, mais la place centrale accordée à l’objet fait que l’absent en est on ne peut plus présent. Comme cette horloge sans aiguille que Bergman a placé dans Les fraises sauvages (1957)…Une inquiétante oblitération qui rend l’absent éminemment présent… Contrairement à notre première impression, le fauteuil se trouve dans doute dans l’intérieur et non dans la cour de l’établissement. Le parquet nous l’atteste. C’est donc de l’enfermement du résident qu’il s’agirait ici. Le reste de la composition, les murs extérieurs de la bâtisse, les arbres, le bout du jardin et l’escalier seraient le reflet de son envie d’évasion. Le bout du couloir (du « tunnel ») qu’il fixe impuissant.

Les lignes de fuite qui renforcent violemment la perspective du passage donnent un élan et du mouvement à cette envie ; une propulsion pour aller de l’avant. Comme dans La Chambre de Van Gogh à Arles (1888), les lignes de fuite qui convergent exagérément créent presque un effet de succion. Or, les deux ailes imposantes du bâtiment, tels deux gardiens impassibles, font bloc contre ce premier mouvement, le retiennent, voire le repoussent en sens inversé. De là naît cette tension qui anime le centre optique du tableau, le fruit des deux mouvements opposés. Ce centre, le bout du couloir qui semblait être une issue, se révèle alors un cul de sac.

L’effet ressenti chez le spectateur, pris entre cet effet optique contraire, est celui d’un « travelling contrarié », ce procédé cher à Hitchcock, qui a pour conséquence de déranger la perception de la perspective et, au passage, d’ébranler les certitudes du spectateur. Ce n’est d’ailleurs pas la seule technique cinématographique que Franck Saïssi utilise. Le format de la toile est 16:9. Les tonalités sourdes et sombres de la peinbture aux dominants ocres gris sont comme calquées sur l’étalonnage d’un film de genre. Enfin, la rencontre fortuite de différents registres donne lieu à un interminable fondu enchaîné, fait non de deux scènes qui s’entrecoupent, mais de multiples images qui se croisent. Le résultat est un onirisme inquiet et inquiétant. Une longue attente. Du suspens sans dénouement…

C’est plus qu’une vision hallucinée du réel. Comme le twist final de Shutter Island (2010), (pardonnez-moi du spoiler) le réel, pour le fou, est hallucinant ! Le spectateur est-il en train d’assister à la vision du patient ou, entre raison et folie, est-il en train de la monter de toute pièce ?

Contention (2020) acrylique sur toile, 130x81cm, collection particulière © Franck Saïssi

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Interview avec Franck Saïssi

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