par Janaka Samarakoon pour artWorks! | 04/03/2025

Le titre annonce le programme : « Le journal d’une adolescente ».

Ce film ne sera pas, semble-t-il nous souffler, une énième évocation lénifiante du destin tragique de cette jeune victime des nazis, disparue il y a 80 ans ; il proposerait plutôt une relecture sensible et contemporaine de sa vie en clandestinité, ou, plus précisément, de sa mise en récit. Parfait. Nous sommes preneurs !

Le film s’ouvre sur des archives audiovisuelles, une leçon d’histoire à grands coups d’images-choc, ces moments d’Histoire imprimés dans notre imaginaire collectif, sculptant notre vision de la Seconde Guerre mondiale.

Puis vient la reconstitution — la fugue et la vie clandestine de la famille Frank en huis clos —, un exercice périlleux qui peut facilement basculer dans la complaisance ou le dolorisme s’il n’est pas abordé avec intelligence.

Le nappage d’une musique entêtante, vaguement répétitive, très en vogue dans le documentaire actuel, s’installe. Rien de surprenant pour l’instant.

Amsterdam, un tombeau à ciel ouvert

Et puis, porté par la voix de Suliane Brahim, le récit se met en place.

Des allers-retours entre le passé et le présent prennent forme à travers des vues d’Amsterdam, un drone bourdonnant autour de l’Annexe, la cachette. Captée sous une lumière crépusculaire aux tons sourds, la ville devient un personnage à part entière — à la fois complice silencieux d’un crime annoncé et témoin impuissant d’une machine meurtrière qui s’emballe.

Les paysages urbains, filmés sans habitants, donnent à l’Amsterdam d’aujourd’hui l’aspect d’une ville fantôme, intemporelle, presque modianesque. Un tombeau à ciel ouvert.

Et le décompte macabre commence. Premier jour, 50ᵉ jour, 640ᵉ jour, jusqu’au 761ᵉ, inéluctable. Nous connaissons la fin, mais nous nous surprenons à espérer une issue heureuse.

Les paysages urbains, filmés sans habitants, donnent à l’Amsterdam d’aujourd’hui l’aspect d’une ville fantôme, intemporelle, presque modianesque. Un tombeau à ciel ouvert. Et le décompte macabre commence. Premier jour, 50ᵉ jour, 640ᵉ jour, jusqu’au 761ᵉ, inéluctable.

La meilleure idée du film réside sans doute dans ces scènes où des adolescents d’aujourd’hui s’approprient cette histoire. Ils visitent le musée Anne Frank, empruntent l’escalier menant à l’Annexe dissimulée derrière la bibliothèque, arpentent les rues du quartier, lisent le Journal — à l’école, dans leur chambre, à la bibliothèque, sur la pelouse, blottis dans les bras de leur amoureux.

Une traversée des miroirs

Ces plans d’une beauté irrésistible — couleurs chatoyantes, palette automnale, lumière chaude d’octobre — sont aussi diablement ambigus, et cette incertitude vient dynamiser le récit en lui ouvrant de nouvelles perspectives.

Au premier abord, ces scènes peuvent être perçues comme des visions fantasmées d’Anne Frank, des possibilités infinies d’une vie qui n’a jamais été, suspendues entre réel et imaginaire. Véritable agent liant du récit, ces séquences fonctionnent aussi comme une traversée des miroirs, reléguant la reconstitution de la vie d’Anne Frank, les extraits lus et les rappels historiques au rang de ‘film dans le film’. Le documentaire se mue alors en exposé imaginé par ces jeunes et présenté en classe. Astucieux !

Le choix judicieux d’Alexandre Moix est de montrer ces jeunes dans leur spontanéité première et leur contemporanéité immédiate (bravo pour l’édition actuelle du Journal d’Anne Frank en livre de poche !), établissant un pont entre le récit historique et sa réception — voire son vécu — au présent.

Anne Frank sort alors de sa mythologie, du statut d’icône muséifiée pour s’incarne avec une matérialité bouleversante.

Le tourbillon final, concocté comme un dispositif sensoriel et immersif fait de cette conclusion une sorte d’épiphanie cathartique.

Ces plans de beaux jeunes gens insouciants, prêts à embrasser la vie, se multiplient dans un crescendo vers la fin du film, à l’image de la musique — volutes entêtantes de cordes et susurrement évanescent d’une voix — qui monte en puissance pour accompagner l’accélération inexorable de l’Histoire.

Pas de pathos, mais l’émotion règne. La voix d’Anne Frank, incarnée par la sociétaire de la Comédie-Française avec cette désinvolture adolescente, nous désarme jusqu’au bout. Le tourbillon final, concocté comme un dispositif sensoriel et immersif fait de cette conclusion une sorte d’épiphanie cathartique. Une leçon d’Histoire empreinte d’empathie, livrée sans didactisme, à hauteur d’une adolescente de 13 ans que l’on voit grandir sous nos yeux.

« Quand nous quittons la salle, le monde n’est plus tout à fait le même », me lancera mon fils de 11 ans, absorbé, en sortant de la projection. « Tu m’achèteras le livre ? » me glissera-t-il avant de prendre la main de sa petite sœur, 6 ans.

Le film, réalisé à l’occasion de la 80e commémoration de la mort d’Anne Frank, a été projeté en avant-première à la Cinméthèque de Nice le 01 mars 2025.

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