Interview avec Béatrice de Domenico, sculpteur

Propos recueillis par Janaka Samarakoon pour artworks! | 01/04/2020

Se positionnant à la frontière entre le dessin et la sculpture, Béatrice de Domenico produit une oeuvre qui célèbre la ligne. Dans ses ‘dessins sculptés’, le trait se déploie en apesanteur d’une manière quasi organique, comme animée d’une vie propre. Retirée dans son atelier où elle profite de ce temps de confinement pour enfin terminer une ambitieuse pièce, elle s’est entretenue avec artWorks!

Béatrice de Domenico dans son atelier | Crédit photo © 2016 Jacques Renoir

artWorks! : Comment êtes-vous installée à Nice et quels ont été vos débuts dans l’art ?

Béatrice de Domenico : À l’âge de trois ans, je suis arrivée à Cannes. Et c’est depuis ma formation à la Villa Arson que je vis à Nice. Je suis fille de galeriste. Dès mon enfance, j’ai fréquenté les galeries, les ateliers, les expositions. J’ai donc toujours évolué dans un environnement artistique.
Parlez-nous de votre formation à la Villa Arson.

J’ai fait deux années d’architecture à Marseille. Mais cette formation ne me convenait pas. Trop de maths, trop technique. Du coup, j’ai intégré la Villa Arson après l’obtention du concours. Mais ces deux années-là ont été assez douloureuses pour moi.

Dans quelle mesure ?

C’était très scolaire, par rapport par exemple à ma formation d’architecte à Marseilles où on était très libres. Ici, le système était rigide. J’avais du mal avec cela.

Mais en même temps, j’ai appris toutes les bases qui m’ont plus tard servi pour me lancer en tant que plasticienne. 
Comme la formation ne me plaisait guère, je me suis mise à travailler seule chez moi et à ne plus pratiquement aller aux cours. Quand j’avais des problèmes pour réaliser une idée, je me servais des connaissances, picorées à droite et à gauche…

Comment cela se passe ensuite ?

Après ces années de formation, j’ai commencé petit à petit à exposer, dans des endroits comme les MJC [Maisons des jeunes et de la culture NDLR]. Je vivais aussi des petits boulots.
Aujourd’hui je me consacre pleinement à mon travail. J’ai un grand atelier qui me permet de faire toutes les expériences. C’est ici, dans mon atelier, que j’ai appris mon boulot, que je me suis pleinement épanouie…

Parlez-nous de votre technique.

Ma technique vient de la Villa Arson, justement. Un jour, le professeur de volume arrive un avec un rouleau de fil de fer et des pinces et nous dit : « Revenez dans un mois ayant fait quelque chose avec cela ». La méthode m’a bien plu et l’ai retenue.
 
Votre rapport au trait, au dessin ?
 
Je reste à la frontière entre le dessin et la sculpture. En plus de la ligne, il y a du volume dans mon travail ; de l’ombre aussi qui vient jouer avec les volumes. D’ailleurs, je tiens beaucoup à l’ombre, et c’est foncièrement différent de la sculpture classique.

Je pourrais dire que mon travail, c’est du dessin fait de fil de fer. C’est des pièces qui peuvent être murales mais il y a aussi des sculptures proprement dites en 3D. Pour ces oeuvres-là, je fais intervenir la résine. Mais je suis en train de délaisser petit à petit cette partie de mon travail. C’est une technique qui reste très contraignante. Aussi, lors des expositions, on a tendance à montrer ces pièces à l’extérieur. Or, cela ne fonctionne pas très bien car il leur faut un fond uni, de préférence blanc, pour la visibilité. Enfin, c’est un travail trop fragile.

 

Quand vous vous lancez dans une pièce, vous partez donc d’un dessin ?

Pas du tout ! Je ne dessine jamais avec crayons et papier. 
Le point départ n’est donc pas un dessin, mais une idée, un détail ou un élément de la nature. Des éléments que je croise dans la vie constituent le démarrage d’une histoire…
La recherche que vous poursuivrez à travers votre travail ?

J’ai envie d’apporter aux gens quelque chose de très positif. Quelque chose venant du merveilleux, de l’inattendu… de différent. En somme, j’ai envie de faire plaisir.

Être une femme conditionne-t-il votre oeuvre ?

La féminité n’est pas du tout une chose que je revendique. Par exemple, je n’utilise jamais mon prénom pour signer une oeuvre. Ceci étant dit, mon travail reste assez délicat donc le visiteur l’associe facilement comme étant le travail d’une artiste. Mais cela n’a aucune importance. Je ne souhaite pas que cela soit pris en compte dans l’appréciation mon travail.

Sur l’évolution de votre travail, de vos débuts jusqu’à aujourd’hui ?

Mon travail n’a jamais arrêté d’évoluer. D’ailleurs, depuis deux ans, ça bouge énormément. Au départ, mes oeuvres restaient très narratives. Aujourd’hui, ça l’est beaucoup moins. Du coup, il y a plus de place pour une interprétation libre.

Le jour où je n’évolue plus, cela voudra dire que je dois passer à autre chose…

Quelles sont les réalisations en cours ?

Je fais toujours plusieurs choses en même temps. Actuellement, je suis en train de travailler sur une grande pièce qui était en attente depuis un an. Les grandes pièces nécessitent beaucoup de temps de réalisation et là, je me suis dit que, la période qu’on traverse serait appropriée à sa réalisation. Il s’agit d’une grande mêlée de personnes.

J’ai deux autres pièces en cours, avec des plantes, mais là, je suis en rupture de matériels. Elles devront attendre la fin du confinement.

En tout cas, je vais de plus en plus vers des réalisations légères.

Vos futures orientations ?

Comme je disais plus haut, je travaillais beaucoup avec de la résine. Décembre dernier, je suis tombée malade d’une manière assez importante. J’ai eu une complication aux poumons. Je n’ai pas de séquelles aujourd’hui et je m’en suis bien sortie. Mais j’ai pris cela pour une alerte. J’arrête donc de travailler avec de la résine. C’est une matière très toxique et polluante qui nécessite que l’on s’en protège intégralement.

Du coup j’ai fait des recherches sur de nouveaux matériaux qui me permettent de faire le même travail. Je suis en train de les tester. Sans masque, ni combinaison, je travaille maintenant plus légèrement et cela me plaît énormément. Certes, j’ai de nouveaux défis mais en même temps une évolution intéressante est en train de s’opérer…

En tout cas, c’est une manière beaucoup plus douce de travailler. J’en suis ravie.

À découvrir…

Profil d’artiste de Béatrice de Domenico sur artWorks!

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