‘Le bonheur du néant’, traduit du cinghalais par Janaka Samarakoon
Le bonheur du néant
(ප්රේම පුරාණය)
de Sunethra Rajakarunanayake
Langue : Français | Broché : 275 pages
ISBN-13 : 979-8345186084
Prix : 12,90 TTC
Lovée dans le conformisme des années 1960 de son village natal sous les tropiques, Nirmala, une jeune Sri-Lankaise, découvre l’amour et s’y abandonne totalement. Cet amour juvénile la subjugue, l’aveugle, puis finit par la briser. Au fil de rencontres choisies, subies ou fortuites, elle émerge peu à peu de ce désastre émotionnel, parvenant à se libérer des carcans sociaux et de la force confinante de l’amour, qu’elle transforme en une expérience libératrice et universelle.
Dans ce roman où chaque chapitre évoque des personnages qui disparaissent ensuite pour ne laisser que leur souvenir, ces ombres accompagnent le pèlerinage sans frontière de la protagoniste. Inspiré des anciens textes orientaux et tissé d’ellipses, le récit se révèle être l’émancipation d’une femme qui, par la force transformatrice de l’amour, voit jaillir en elle une source spirituelle. En franchissant avec grâce les limites d’une culture corsetée, elle accomplit, presque imperceptiblement, une profonde révolution personnelle.
Cela fait 17 ans que je travaille ce texte.
Et 25 ans que je vis avec…
En parlant de ce livre, j’ai souvent eu tendance à dire que si je suis là, en Europe, loin de chez moi, immergé dans une culture diamétralement opposée à la mienne, et que je me construis une destinée qui n’aurait jamais dû être la mienne, c’est un peu aussi à cause de ce livre.
Un livre découvert à 19 ans, qui m’a offert une lecture radicalement différente du déterminisme sociologique vers lequel ma vie avançait paisiblement à l’époque…
Un choc esthétique
Ce roman m’a d’abord frappé par sa forme incroyablement libre, qui, il y a 25 ans, détonnait dans une scène littérature locale autrement assez convenue : mi-récit, mi-fiction ; résolument romanesque mais, on le devine, tour à tour autobiographique ; entre roman et recueil de nouvelles ; à la fois profondément intime et éminemment sociologique…
Pour raconter l’histoire d’une héroïne atypique, l’auteure déployait des audaces formelles déroutantes : des ellipses à profusion, et d’un chapitre à l’autre, des sauts intempestifs dans le temps et l’espace ; des flashbacks à peine signalés, lesquels sont « montés » comme un film ; des passages où les vers prenaient allègrement le relais de la prose… Et le tout au service d’un itinéraire non seulement spatio-temporel, à l’échelle mondiale et couvrant une période de quelques décennies, mais aussi métaphysique : le cheminement d’une psyché. Ce nomadisme, affranchi de toutes contraintes sociales et, de surcroît, pratiqué par une femme, m’a fort séduit.
Bref, ce roman m’a donné du fil à retordre…
Cette vertigineuse liberté d’être
À la fin des années 1990.
Le Sri Lanka.
l’Internet et les ordinateurs commençaient à apparaître que l’on tentait de domestiquer avec plus ou moins de bonheur.
Un nouveau millénaire, anticipé comme le théâtre d’une mondialisation heureuse, se profilait.
J’avais à peine 20 ans.
Et tout semblait possible.
Ce livre m’est alors apparu comme un manifeste, un programme à suivre.
Un appel d’air.
Un appel d’ailleurs.
Je m’imaginais déjà lancé sur des routes poussiéreuses du Bihar ou attablé dans un café surplombant la baie de San Francisco…
À cette époque, je n’avais encore jamais quitté mon île de 65 000 km².
Et puis, il y avait l’amour que, comme la protagoniste Nirmala, j’avais découvert moi aussi très tôt, sans doute trop tôt. Comme elle, je voulais en découvrir d’autres formes, ancrées dans d’autres réalités.
Nirmala est, à sa manière, une lointaine cousine d’Emma Bovary. Son jusqu’au-boutisme audacieux avait tout pour me plaire. Faire des expériences émotionnelles avec sa propre vie, en tester les limites. Sa propre chair comme matière première à pétrir, à modeler et, en cas d’erreur, tout recommencer… Plus tard, je me surprendrais à dire, en citant Flaubert : « Emma, c’est (aussi) moi ! ». In fine, ne sommes-nous pas tous — Emma, Nirmala, moi, et peut-être toute l’humanité — enflammés par cette même — la formule est de Marie Hélène Lafon — inépuisable attente du bonheur ? Lancés vers un horizon de possibles, sans pouvoir nécessairement définir ce qu’est ce bonheur, ni quand il se réalisera… Ce flou même est une forme de liberté, une vertigineuse liberté.
Nirmala m’a propulser sur cette piste.
Une aventure de traduction
Je me suis attelé à la traduction de ce roman au printemps 2007. Les premières pages, je les ai traduites, je me souviens, lors d’un stage artistique à l’abbaye d’Auberive, en Haute-Marne. J’étudiais le français depuis 10 ans et pensais avec aplomb que je maîtrisais suffisamment la langue pour m’attaquer à un tel projet.
Erreur de jeunesse, comme tant d’autres…
Il m’aura fallu 17 ans pour venir à bout de ce projet.
À la fin de l’été 2007, j’avais déjà terminé une première version complète du livre, que j’ai ensuite retravaillée régulièrement, tous les ans ou tous les deux ans, en la réécrivant entièrement à chaque fois. L’avant-dernière mouture remonte au confinement et la dernière, achevée en novembre 2024, est, je l’espère, celle qui fait enfin justice à ce que j’ai ressenti en découvrant le texte original en cinghalais, il y a 25 ans.
Un défi
Traduire du cinghalais au français peut être un vrai casse-tête chinois (!). La syntaxe est totalement différente, les références culturelles souvent éloignées, et les non-dits — ces messages à lire entre les lignes — sont légion. Le Cinghalais, pathologiquement pudique, est un sujet peu porté par l’oralité. Lui préfère laisser parler la situation, le corps, un regard, un soupir, mais rarement les mots… et le livre est fait aussi de ce langage-là. Bref, l’imaginaire collectif qui imprègne chaque mot de ce roman est très difficilement transposable…
Autant de défis qui m’ont conduit, parfois, à prendre quelques libertés. Certains passages pourraient même être considérées comme « adaptés », l’autrice m’en pardonnera . Des choix nécessaires pour rendre la richesse du texte originel intelligible en français.
Le livre contient, vous le verrez, plusieurs livres en son sein. Le roman suivant de l’autrice, publié dès 2001, Ridee Thirnaganawa, en est témoin. Plus ample et plus romanesque, il reprend pratiquement le même point de départ mais pour aboutir à une tout autre dimension.
C’est mon prochain projet de traduction…, en cours depuis 2014 !
Une première en francophonie
Last but not least, il semblerait que ce projet soit un micro- / mini- / infinitésimal événement littéraire. À ma connaissance, il s’agit de la toute première œuvre contemporaine cinghalaise traduite directement de la langue d’origine en français. C’était vrai en 2007, et il semble que ce soit encore le cas aujourd’hui. Si vous êtes mieux informé que moi sur le sujet, je suis tout ouïe !
Un immense merci à Sunethra, qui m’a fait confiance il y a 17 ans et continue de me la renouveler, malgré le temps qu’a pris ce projet pour se concrétiser. Elle m’encourage maintenant à m’attaquer à ses romans plus récents, au choix en français ou en anglais — un défi que j’ai très envie de relever 😉
Enfin, ma gratitude va à Dr Jacques Soulié, psychiatre, homme de culture et fidèle compagnon de route depuis 25 ans. Infatigable correcteur, il a relu ce texte dans ses diverses moutures durant ces 17 années, répondant toujours présent avec une générosité sans faille face à mon obstination.
Bonne lecture !
Janaka Samarakoon, Nice, 10 décembre 2024
Sunethra Rajakarunanayke est une écrivaine sri-lankaise, lauréate de 12 prix nationaux, dont deux Golden Book Awards, décernés par la Sri Lanka Book Publishers’ Association, et quatre State Literary Awards, la récompense officielle de l’État.
En plus de son activité d’écrivaine, elle a travaillé, jusqu’en 2022, comme consultante en médias, scénariste et chroniqueuse. Elle est l’auteure de plus de 50 livres, dont certains arborent des couvertures qu’elle a elle-même dessinées.
Le bonheur du néant, paru en 1999, est son deuxième roman.
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